
Par Manon Renault.
Illustrer la mode des années 1980 laisse le champ à des articulations des plus loufoques : une Cindy Crawford en robe Azzedine Alaïa peut se heurter à des femmes aux ventres déformés, et épaules dotées de protubérances contenues dans des robes en tissus vichy. Flottant dans les airs, ces corps clivant l’espace policé des supermodels sont signés Rei Kawakubo. Alors que l’époque est marquée par la multiplication des cassettes d’aérobic, la créatrice de Comme des Garçons questionne l’idéal du corps ferme et musclé qui pullule dans le monde occidental- et notamment l’espace de la mode. Côté à côte, les femmes Kawakubo et Alaïa coexistent : c’est le mariage de l’idéal et de sa critique ; l’union entre la poursuite de la modernité et l’ironie de la post-modernité, complexifiant l’espace de la mode.
La chercheuse Francesca Granata dédie un chapitre de son ouvrage Experimental Fashion : Performance, Art, Carnival and the Grotesque Body au travail de Rei Kawakubo utilisant le concept de « Grotesque » forgé par Mikhaïl Bakhtine pour décrire la teneur politique du corps dit Grotesque, soit déformé, handicapé, gros etc.
L’occasion de découvrir le travail de Bakhtine qui proposait au début du XXème siècle une sociologie de la culture de l’espace public ( soit comprendre la teneur des spectacles de rue et autres formes de manifestations ). Force est de constater comment les vitrines closes de la mode ( le podium ou le magazine…) matérialisent et intègrent les codes esthétiques des spectacles de rue.
«Il est intéressant de retracer les luttes entre le concept du corps grotesque et du corps classique à travers l’histoire du vêtement et de la mode » écrivait Bakhtine comme le rappel judicieusement Granata au début de son ouvrage.