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Par Sandrine Tinturier.
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Répétés, les robes parfaitement identiques des quatre soeurs, les gilets de même laine, les gourmettes, les montres reçues pour la communion, racontent les conventions sociales d’un temps où les liens familiaux primaient sur la sensibilité individuelle. La sororité est présentée à l’objectif, à la société, comme un corps constitué, une armée de petits carreaux et de boutons de nacre bien alignés dans laquelle chacune perd son identité au profit de la collectivité.
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L’appartenance familiale exprimée par cet uniforme est accentuée par la composition pyramidale du groupe, la convergence des regards des modèles. Chacune à sa place offre au père-photographe, observateur et auteur de cette représentation unificatrice, la vision de la famille qu’il attend et qu’il valide en englobant la scène dans son cadrage.
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Les quatre filles paraissent un peu trop grandes pour adhérer totalement au port de ces robes multipliées. Déjà la pyramide se fissure. Au centre de l’image, l’une des filles s’offre entièrement à l’objectif, solaire. Cariatide doublée de sa soeur perchée au dessus d’elle, elle partage le décor entre l’ombre et la lumière. A sa droite, sa mère en blanc et sa soeur se détachent sur un fond dramatiquement noir. La première affiche un sourire qui n’en est pas un, l’autre fait carrément la gueule. Sans doute la benjamine qui, au bout de la chaine, sera condamnée à porter ces carreaux le plus longtemps selon la tradition du « hand-me-down ».
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A l’opposé, dans la lumière, la petite dernière clôt la composition, assise aux côtés de l’aînée. La mémoire familiale dit que c’est une « petite repêchée », adoptée par la famille. La cinquième roue du carrosse. Elle est un peu floue, et comme si l’habit était inné et non acquis, elle ne porte pas le même plumage. La main de la grande est posée sur l’épaule de la petite. Un geste d’affection, le seul du cliché, de celle qui va bientôt partir pour celle qui s’installe.