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Les activités de Culture(s) de Mode sont naturellement suspendues. Cependant, nous vous proposons de continuer à échanger ensemble ici à travers la publication d’articles relatifs à des études publiées ou à des travaux en cours réalisés par nos chercheurs.
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Aujourd’hui, Sandrine Tinturier continue de nous parler d’élégance en toute circonstance.

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Divertissement forain oublié après sa vogue de l’entre-deux-guerre, le tir photographique laisse à travers ses clichés, la trace de ceux qui ont fréquenté ces lieux de fête, de liberté et d’excès. Contre quelques pièces, le client pouvait s’armer d’une carabine dont le projectile si/lorsqu’il touchait la cible déclenchait un appareil photo. A la fois tireur, sujet du cliché et photographe, le participant gagnait un tirage de son image tenant en joue l’objectif.

L’image produite par ces clichés est inédite, correspondant plus ou moins à la dernière vision qu’aurait une victime de son assassin, un condamné à mort face au peloton d’exécution. Une image qu’a priori peu de gens ont la possibilité fixer sur papier sensible.

Au delà de l’étrange pose frontale du tireur concentré sur sa cible, le champ couvert par les clichés de tir photographiques s’étire, englobant le public massé autour du sujet de la photo dans l’instant suspendu du coup de feu. La photographie, preuve incontestée que le tireur a mis dans le mille, devient le reflet figé de la fête foraine, un espace de papier où se mélangent les classes sociales et les âges.

Se croisent sur la photo, des hommes en costumes et pardessus coiffés d’élégants chapeaux de feutre, venus en famille ou seuls pour s’encanailler et des jeunes gens qui, portant casquette et foulard à l’Apache, entendent chahuter entre copains, croiser des jeunes filles, faire connaissance, flirter peut-être. Alors, chacun s’est mis sur son 31 pour la sortie, pour l’exceptionnel, comme on le fait lorsqu’on va se faire tirer le portrait au studio photographique.

Les enfants sont bien habillés et bien coiffés parce que la fête foraine, c’est surtout pour eux. Robert Frank avant de devenir un grand photographe a lui aussi revêtu son joli costume pour accompagner son père au stand de tir photographique (http://www.desordre.net/bloc/2002_08_25_archives.html). Comme lui, à la droite de son père et à peu près au même âge, la fillette de notre photo, coiffée de son bonnet et de son col de fourrure blancs fixe la cible en souriant à l’objectif qui va bientôt lui délivrer l’image qu’elle attend d’elle. Elle a confiance en son père, il va mettre dans le mille du premier coup, elle est prête pour la photo. Mais j’en viens à me demander si la fillette n’a pas pris place devant ce stand aux côtés d’un inconnu juste pour sentir le flash l’éblouir au moment de l’impact. Je trouverai peut-être un jour un cliché de tir photographique avec la même fillette au bonnet et à l’écharpe de fourrure blanche souriant aux cotés d’un autre homme armé.

Source: Photographie, entre-deux guerres, collection privée.