Par Sandrine Tinturier.
Le photographe ambulant est passé aux abords de la ferme pour proposer ses services. Ce sont les petites filles qui ont été choisies pour être immortalisées. Elles n’ont probablement jamais été photographiées, trop jeunes pour s’être prêtées à l’exercice de la prise de vue en robe de communiante.
.
Pendant que le photographe installe le trépied de son appareil devant l’espace le plus neutre, réfléchissant au cadrage serré qui saurait évacuer les stigmates de la misère paysanne alentour, on fait rentrer les fillettes à la hâte, on sort de l’armoire les robes du dimanche, des tiroirs les rubans pour leurs chevelures maintenant soigneusement coiffées. Les chaussettes sont remontées, les chaussures enfilées sont aussi celles du dimanche.
.
Les fillettes posent maintenant sagement, docilement, devant celui qui s’apparente à un sorcier. Comme pour se donner du courage, elles se tiennent par la main, l’ainée pose une main protectrice sur l’épaule de la cadette. Ce rapprochement fraternel répond peut-être seulement à une injonction du photographe marmonnant des mots rassurants à leur encontre caché sous son drap noir, rodé qu’il est à immortaliser l’enfance. C’est parées de leurs plus beaux atours qu’elles vont être représentées, ensemble à jamais. Une robe un peu sale, un peu froissée, des noeuds défraichis dans les cheveux, pour entrer dans l’éternité. S’il arrivait malheur à ces fillettes, dans ces temps, ces contrées paysannes où la vie des enfants est si fragile, c’est ces mêmes effets, les plus jolis dont elles disposent, que l’on aurait ressorti pour les habiller une dernière fois.
.
Aussitôt la prise de vue terminée, les fillettes devront enlever leurs beaux habits. La cadette voudrait garder encore quelques minutes la bague qu’elle a glissé à son doigt pour la photo dans une quête d’élégance un peu vaine.