Par Sandrine Tinturier.
Le photographe des rues avait l’oeil. Tel un harangueur de foire, il savait captiver l’attention, dire le mot qui susciterait le sourire du passant. Il savait que ce sourire volé, comme relié de manière invisible au déclencheur de son appareil, ferait la réussite de son cliché. Il est peu de photos de rue ratées, parce que les modèles pris sur le vif apparaissent enfin vivants, loin des attitudes affectées des photos posées de l’époque. Et puis, au milieu des années 1960, on s’habillait toujours pour sortir.
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Les deux jeunes femmes arpentent la rue, portées par le même pas, et presque les mêmes chaussures. On entend la voix off de Charles Denner dire d’un ton péremptoire « Les jambes des femmes sont des compas qui arpentent le globe en tout sens, lui donnant son équilibre et son harmonie ». Ce sont des jeunes femmes de leur temps, d’une époque où l’on parlait de ses tenues de manière précise, où l’on maitrisait le vocabulaire du vêtement et du tissu parce que l’on avait une véritable culture couturière. Puisqu’on ne pouvait pas encore se procurer un prêt-à-porter séduisant et diversifié, la conduite vestimentaire de celles qui aimaient s’habiller passait par la couturière de quartier ou par leurs mains habiles pour réaliser leurs désirs, leurs rêves vestimentaires. Chacune se débrouillait avec sa science de la couture, ses capacités et ses limites. La première avait bordé d’un biais son encolure, ses emmanchures et son ourlet parce qu’elle n’aimait pas s’atteler au difficile exercice des bordures, la seconde, plus virtuose, s’était lancée un col bénitier avec un certain brio.
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L’image porte les stigmates des photos que l’on a trop manipulées, trop regardées, trop aimées. La grand-mère des deux jeunes femmes l’avait l’avait sortie 1000 fois de sa boite en métal, montrée à la terre entière, expliquant inlassablement « C’est ma petite fille et, à gauche, c’est l’épouse de mon petit-fils », avant de la ranger parmi ses autres trésors imprimés sur papier sensible.
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