Par Sandrine Tinturier.
Au dos du cliché de studio, la mention manuscrite « Le lapin vivant / Dédé à 3 ans ».
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Dédé n’en est pas à sa première photo. Il a sans doute été préalablement conduit, quelques mois après sa naissance, chez le photographe pour être étendu nu sur une peau de bête aussi soigneusement peignée que lui.
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Comme lui, des générations d’enfants ont frotté leur nudité sur un morceau de fourrure devant l’objectif. Une tradition mystérieuse, une mode aujourd’hui désuète. La dépouille de la bête, trophée obtenu par l’homme sur la nature, s’associe au petit corps nu du nouveau-né. Par ce rapprochement entre l’animalité et l’enfance, évoque-t-on la sauvagerie, l’état primaire et sans culture du bébé ? Associe-t-on le plaisir du toucher de sa peau veloutée à celui que l’on éprouve en caressant de la fourrure? Cette superposition a peut-être seulement valeur de promesse, d’engagement pour les parents à envelopper leur progéniture de douceur et de sécurité.
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Dans ce bestiaire attaché à la prime enfance, les bambins passent de la sauvagerie de la peau de bête à la docilité de petit animal domestique sous l’oeil du photographe. « Mon petit lapin » est un surnom bien plus courant dans la bouche des parents que « mon petit lion ».
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Au même âge que Dédé, Paul traité de « petit lapin » avait fuit les bras de sa mère pour aller vérifier son reflet dans le miroir. Il lui avait alors signifié très clairement : « Mais maman, je ne suis pas un petit lapin, je suis un petit garçon ! ».
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A trois ans, on attend des enfants des années 1920 de l’obéissance, de la soumission. Un déguisement de lapin fera bien l’affaire pour Dédé. Le gamin discipliné pose comme on le lui a demandé, il regarde l’objectif sagement. Il ne sourit pas, peut-être conscient du ridicule de son état de lapin vivant. Il n’a pas vraiment peur, le civet n’est généralement pas au menu du déjeuner de Pâques.