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Par Sandrine Tinturier.

Les photos de studio rabâchent la même histoire des codes et des convenances. Les silhouettes en duo, en trio, répètent à l’infini les même poses et gestuelles illustrant les liens familiaux. Les mères exposent leur amour, et leur devoir, en maintenant leurs enfants en bas-âge dans leurs bras ou dans leurs jupes ; les hommes posent une main protectrice, mais ferme, sur l’épaule des plus grands (la main ferme sur l’épaule vaut d’ailleurs aussi pour l’épouse…).

Parcourant du bout des yeux ces images stéréotypées et interchangeables de l’amour marital ou filial, il arrive que l’on s’arrête captivé par un cliché hors du commun. De ce trio sur son 31 d’un père et ses deux fillettes émane un souffle de vie.

L’ainée, campée sur ses pieds, prend des airs de grande. Elle domine le trio aidée par un petit tabouret et un noeud dans les cheveux. Une main sur la hanche, l’autre autour du cou de son père, elle regarde crânement son public comme le ferait l’assistante du magicien en sortant le lapin du chapeau. Le père et la cadette regardent ailleurs, ensemble, comme coulés dans un même corps. La grande main apaisante du père répond à la petite main de la fillette qui chiffonne nerveusement sa jolie robe. Il sait sans la regarder que la toute petite est impressionnée, que le sourire qu’on lui demande se fige à l’envers sur sa bouche, que ses yeux si malicieux cherchent à s’échapper du cadre. Alors il incline un peu la tête pour se mettre à son niveau, l’enveloppe de son corps qui, à la manière d’un support, les met en valeur, en confiance elle et sa soeur.

Un second cliché raconte la même histoire. Son épouse prend curieusement place sur ses genoux comme le ferait une jeune mariée l’enveloppant de sa tenue blanche. Avec douceur, elle appuie sa joue contre sa tempe, s’accrochant timidement à sa veste. Il est rassurant d’être serrée contre cet homme, solide et fiable. Ensemble, ils ignorent l’objectif, leurs regards bienveillants plongent dans la même direction, probablement sur leurs deux fillettes hors champ.

 

c. 1920-1925