Par Théo Castaings, commissaire d’exposition indépendant
Aujourd’hui, Culture(s) de Mode vous propose une nouvelle série d’articles intitulée “Médium Vêtement” qui explore la création artistique contemporaine, utilisant le vêtement aussi bien comme support que matériau.
Michelangelo Pistoletto, La Venere degli stracci, 1967, marbre blanc, vêtement, 180 x 240 x 120 cm, Citta dell’arte – Fondazione Pistoletto, Biella
La Vénus présente son dos nu. Son spectre blanc fait face à des loques, des pans de tissus aux formes, couleurs et motifs variés, érigés en un monticule, qui la submerge et dans lequel elle semble s’enfoncer délicatement. Ce qui surprend c’est d’abord la rencontre de ces deux univers et la dualité qui s’y exprime. Dans ses matières, ses formes et ses symboles : la rigidité du marbre épouse la souplesse du textile, l’unité d’un corps absorbé par la multitude des vêtements, l’incarnation de la beauté prête à revêtir le perpétuel changement caractéristique de la mode. Une dualité, partagée entre imitation et démarcation, qui constitue l’essence même de la mode, comme le présente Georg Simmel dans la Tragédie de la culture. Deux pôles qui, dans leur rencontre, ne font plus qu’un.
La scénographie de l’œuvre veut que le tas de vêtements soit acculé contre un mur, de manière à ce que le dos de Vénus soit la seule partie apparente de la sculpture. Il n’y a aucune démarcation au sol, aucun cadre pour placer la Venere degli straccidans un ailleurs, dans le « monde de l’art » : l’œuvre et le spectateur partagent le même espace, le même monde. Il s’agit d’un cercle de vêtements dans lequel pénètre Vénus. Ce cercle insiste sur l’idée que la mode procède de la division des classes, elle associe en même temps qu’elle distingue.
Michelangelo Pistoletto est considéré comme l’un des fondateur de l’Arte Povera. Constitué à la fin des années 1960, ce mouvement préconisait l’utilisation de matériels pauvres pour valoriser un art retiré des mains des élites, un art réintroduit dans la vie, dans le quotidien. L’un de ses médiums de prédilection est l’installation. En juxstaposant des objets n’existant plus que pour eux-mêmes, ses représentants cherchent à défaire l’art de l’idée de transcendence et de ramener les signes à une expression brute.
Ainsi, Vénus, déesse de l’amour et de la beauté féminine, est utilisée par l’artiste comme symbole de l’éros, puissance créatrice de laquelle découleront les règles esthétiques du monde classique. Parmi les inombrables représentations qu’il existe de Vénus, Pistoletto a choisi une version néo-classique tardive, celle du sculpteur Bertel Thorvaldsen éxécutée vers 1813-1816, dont il présente ici une reproduction. Du point de vue purement formel, la Vénus donne à voir ses cheveux soigneusement coiffés, son dos, qui dans un léger balancement, repose sur sa jambe gauche. Son corps entièrement nu adopte une démarche lascive, il s’expose aux regards. Il s’agit ici de l’instant où, selon le mythe, Pâris a donné son jugement et a désigné Vénus comme la plus belle des déesses, après que cette dernière lui ait marchandé l’amour de la somptueuse Hélène. Dans un geste lasse, Vénus ramasse l’étoffe dont elle va se revêtir. Il ne s’agit pas du corps victorieux, contracté, dont les membres se dressent vers le ciel, près à haranguer la foule, mais plutôt de celui de la maitresse, ailleurs et satisfaite, se refermant sur elle-même, qui toise le fruit de sa victoire. D’autre part c’est Vénus, la déesse romaine, et non Aphrodite, qui est prise comme référence. Cette dernière fonctionne ici comme l’icône de la grandeur de l’art italien et plus précisément du classiscisme, qui véhicule le souci de la mesure et la perfection de la forme, scandé par ses canons de beauté.
La Vénus s’enfonce dans les stracci, que l’on peut traduire par « loques ». Ces dernières sont présentées comme un tas de vêtements de seconde-main débordant à outrance. Leur présentation peu soignée évoque paradoxalement la vie qui semble les avoir animer. Le textile est l’un des matériaux les plus périssables dans le temps, comme vient le souligner, par contraste, l’immortalité de la déesse. Les loques forment un triangle. Cette forme s’élance, selon les canons du classicisme, vers le ciel et repose, au sol, sur une base bien solide. Dans son exécution humaine inspirée par le divin, elle est une forme parfaite. Elle est rattachée ici à un consumérisme inébranlable. La Vénus ne peut même plus regarder les vêtements, elle consomme aveuglément les diktats de l’industrie de la mode. Une industrie qui épouse le système néo-libéral (transformation de l’homme en marchandise, rythme effréné de la production) et qui menace notre environement (une des industries les plus polluantes, coalition du FashionPactétablie en amont du G7 de Biarritz).
Cette Vénus qui fonce droit dans le mur s’apprête à être ensevelie sous un tas d’images. Abrutie par sa victoire, elle est absorbée par son sytème. Elle incarne la règle, elle est dans l’incapacité d’offrir un nouveau système. La force du consumérisme est de nous détourner de la necessité de concevoir des alternatives. Le consommateur est libre à l’intérieur du schéma tracé par la production, la distribution et la consommation. Ce qu’il manque peut-être à cette Vénus c’est la possibilité de pouvoir lever les yeux et de se détourner du chemin qu’elle emprunte sans même y prêter attention. Ce qu’il manque à la mode c’est peut être une implication politique plus marquée, passant par exemple par un engagement environnemental renforcé et une plus forte conscientisation concernant l’histoire du vêtement, des enjeux de société qui l’ont traversé et le rapport entre création et tradition qui sous-tend ses origines. Il faut s’échapper de cette dictature de l’image, où le chiffre à valeur de vérité, pour apporter, de son observation, des alternatives et se sortir de la spirale dans laquelle nous nous sommes engoufrés.
On peut élargir cette réflexion à notre situation de confinement, car une idée ne peut être saisie en dehors du contexte dans lequel elle a été formulée. Dans différentes circonstances, nous nous retrouvons livrés à nous-mêmes dans un système qui doit repenser son action pour faire face à cette pandémie. Il faut prendre ce temps, accordé par nécessité, pour penser à des alternatives au néo-libéralisme, qui tire son hégémonie du fait qu’il ne soit plus considéré comme une idéologie mais comme une science. L’étendard de la mode est en berne, son industrie est à l’arrêt, ses collections sont reportées et ses défilés annulés. D’autre part, lorsque la mode est privée de ses lieux de monstration, du podium à la rue, elle perd sa raison d’être : l’autre, qui lui sert de référence comme de point de démarcation. L’alternative de la vidéo perd la spontanéité du réel, elle peut sélectionner son audience et calibrer le moindre détail. Chacun peut l’oberver aujourd’hui, loin du regard des autres, le confortable l’emporte sur les tendances de mode dans notre garde-robe de confiné. Vénus, n’ayant plus personne à qui prouver la suprémacie de sa beauté, laisserait certainement tomber la pomme de la discorde au sol et abandonerait son vêtement sur la souche. Elle lèverait alors les yeux et se dégagerait de l’amas de loques dans lequel elle est emmurée. Alors le monde, dans son dos, s’interrogera-t-il sur cette accumulation, le sens et les potentialités du vêtement quand viendra l’heure du post-confinement ou se replongera-t-il dans cette torpeur ?luxury φθηνό ξαναγεμιζόμενο ηλεκτρονικά τσιγάρα lighting along with the composition in the connection involving unconventionally, displaying your activity in the three-dimensional composition.판매용 전자담배 RDTA reddit features a altesse beauty area.