Par Alice Audrezet et Béatrice Parguel.
Le terme de « mode pudique » désigne une mode qui intègre des considérations de pudeur, souvent d’origine religieuse ([#1 La “mode pudique”, concilier mode et religion ?]).
A qui s’adresse la mode pudique ?
Les musulmans constituent le cœur de cible de la mode pudique, ne serait-ce qu’en raison de leur importance numérique dans la population mondiale, que ce soit dans des pays où l’Islam fait figure de religion d’Etat (e.g., Maghreb, pays du Golfe, Iran) ou de religion majoritaire (e.g., Indonésie, Turquie), ou dans des pays où les musulmans ne forment qu’un groupe minoritaire, la France par exemple. Toutefois, la mode pudique cible également la frange la plus pratiquante d’autres communautés religieuses, notamment parmi les juifs, les hindous, les sikhs, les mormons ou les évangélistes.
Au sein de ces communautés religieuses, la mode pudique s’adresse avant tout aux consommateurs sensibles aux tendances de la mode, c’est-à-dire les femmes, notamment parmi les plus jeunes. Si une attente de pudeur se manifeste également chez des hommes, la demande de mode pudique masculine reste globalement anecdotique : les hommes trouvent en effet plus facilement des produits répondant à cette attente de pudeur au sein de l’offre de mode mainstream, comme illustré ci-après.
Enfin, de nombreuses femmes se définissant comme athées ou non pratiquantes adoptent également la mode pudique en-dehors de toute considération religieuse. Ainsi, la marque Batsheva Dress, créée par la juive orthodoxe Batsheva Hay, a su séduire des consommatrices au-delà de la communauté juive[1], comme la chanteuse Céline Dion, l’actrice Sarah Jessica Parker ou la créatrice Agnes Baddoo.
Finalement, la diffusion de la mode pudique pour des raisons non confessionnelles met au jour l’existence de motivations plus complexes que la volonté ou l’obligation de concilier certaines prescriptions religieuses avec un mode de vie moderne. On notera en particulier : la recherche d’une tenue appropriée à son âge, à son lieu de résidence ou à sa profession, l’affichage de son indisponibilité sexuelle, la recherche d’une allure subversive, l’expression de soi et de son identité culturelle, ou la fascination pour une certaine forme de tradition[2].
Pourquoi ce terme de « mode pudique » ?
La littérature anglo-saxonne utilise généralement le terme de « modest fashion » pour désigner le segment du marché de la mode qui intègre des considérations de pudeur, souvent d’origine religieuse. En français, nous proposons de le traduire par le terme de « mode pudique », plutôt que par celui de « mode modeste ». Faisant référence au fait de ne pas trop découvrir le corps[3], le qualificatif de « pudique » apporte en effet une précision descriptive plutôt que morale sur cette mode et évite ainsi de stigmatiser ceux qui ne l’adopteraient pas comme étant dépourvus d’humilité ou de simplicité.
D’autres traductions du terme « modest fashion » se rencontrent plus occasionnellement en français, mais semblent moins appropriées. Ainsi, les termes « mode religieuse » ou « mode pieuse »[4] ignorent l’existence de motivations non religieuses dans la consommation de mode pudique. De la même façon, les termes de « mode musulmane » ou « mode islamique » suggèrent à tort que la mode pudique ciblerait une communauté religieuse en particulier. Ces derniers termes apparaissent d’autant plus inappropriés dans un pays comme la France, où la commercialisation de produits intégrant des considérations religieuses apparaît comme un sujet étonnement sensible (cf. article à venir [Paris, capitale de la mode, mais pas de la mode pudique !]).
[1] « Batsheva Hay Rethinks the Traditions of Feminine Dress », The New Yorker, Anna Russell, 3/09/2018.
[2] Lewis, R. (2015). Muslim fashion: Contemporary style cultures. Duke University Press.
[3] Bubar, E. (2017). Pious fashion: How Muslim women dress. Harvard University Press.
[4] Ibid