Par Catherine Zeitoun (texte) et Didier Vachet (illustration)
Se masquer :
- Pour se cacher, pour se déguiser, prendre la peau d’un autre, aller au bal masqué, au carnaval de Nice, de Venise ou à celui de Rio.
- Pour accomplir un rituel sacré.
- Pour se protéger et se recentrer, pour un repli sur soi-même salutaire à l’heure du sans frontières.
- Pour écrire, lire, penser, méditer, jouer, s’aimer, danser, jongler, ranger, trier, harmoniser, écouter, penser, créer, rêver et se démasquer une fois son centre retrouvé, sa mission dévoilée et son cœur apaisé.
- Protéger son nez et sa bouche pour ne plus sentir ni goûter les distractions d’un monde globalisé.
Jeanne Vicerial, designer et doctorante en design de mode, créatrice de la clinique vestimentaire est entrée en quarantaine vestimentaire au premier jour de son confinement à la Villa Médicis. Elle propose chaque jour sur son compte instagram un nouveau costume de quarantaine en composant un journal vestimentaire ou le masque est omniprésent.
Ils sont tantôt masque capeline recouvrant tout le visage à l’exception des yeux et faisant référence au dieu du Soleil Hélios, masque totem « Daphnée » pour redevenir fleur, masque de franges « Restez couvert », masque de fleurs fraîches pour un « auto mariage » ou masque parabole pour rester connectés au reste du monde. Ce sont toujours des objets poétiques et porteurs de sens qui nous font réfléchir.
Pour Marine Serre, le masque est un accessoire identitaire non accessoire depuis plusieurs saisons, bien avant la crise du coronavirus.
Après la création de gel hydroalcoolique par LVMH dans ses usines de parfums et de cosmétiques, les marques de mode se mobilisent aujourd’hui pour la fabrication de ces masques en soutien au personnel soignant.
Mises à l’arrêt, les maison Saint Laurent, Gucci, Balenciaga, Saint James ou Chantal Thomass mettent à disposition leurs ateliers, leurs petites mains et leurs tissus pour un mouvement de solidarité collective sans précédent, nous permettant de rêver et d’imaginer pour demain une mode toujours plus éthique et poétique au service d’une conscience collective.
L’asphyxie de ce système, son rythme fou et enfin cette émergence de la conscience menant au ralentissement sont annoncées depuis longtemps par des penseurs de mode tels que Lidewij Edelkoort et Olivier Saillard.
La lanceuse de tendance, à l’origine il y a déjà cinq ans d’un manifeste anti-mode qui déboucha sur « l’anti fashion project » : « point de rencontre ouvert à tous ceux qui sont en train de réinventer le système pour le rendre responsable, positif, bienveillant » déclare :
« J’adore la mode. Je n’ai jamais dit que c’était la fin de la mode. J’ai dit que c’était la fin d’un système de la mode comme on le connaît aujourd’hui et une ouverture vers tous les champs de réinvention possible. »
Dans une récente interview elle espère « que lorsque tout cela sera fini, nous serons capable de réinitialiser la société pour créer ensemble un monde nouveau ».
Olivier Saillard, quant à lui analyse la mode des années 2000 et 2010 dans son Bouquin de la Mode et nous parle de « La densité de production qui gouverne la mode prise en otage vers la conquête de nouveaux marchés, principalement en Chine depuis que celle-ci s’est ouverte au monde, ce rythme accéléré vers de nouveaux eldorados commerciaux est aussi sa menace d’asphyxie. »[1]
Pour lui la disparition d’Alexander Mcqueen survenue en 2010 « laisse un sentiment d’inconfort à tous, celui motivé par une discipline pousse-au-crime, aux cadences infernales, effrénées et dangereuses que personne n’a encore régulées »[2]
Tandis que les parfums signés deviennent des gels hydroalcooliques et les robes de couture des masques de protection, rêvons d’un monde nouveau à rebours du rythme effréné des collections printemps-été, automne-hiver, croisière…
Un monde qui remplacerait le savoir par l’expérience, les voyages en avion par les retraites à la campagne, l’absence par la présence, la quantité par la qualité, un monde qui honorerait la terre et favoriserait les rapprochements inter-générationnels.
En témoignent les élans de solidarité visible partout ces derniers jours, ceux de ses maison de couture mais aussi ceux présents dans tous les immeubles et tous les villages, les cours de méditations et de yoga gratuits comme ceux de Lili Barbery Coulon qui réunissent jusqu’à 10 000 personnes par soir, ou les applaudissements a nos fenêtres en soutien au personnel soignant.
Laissons tomber nos masques d’indifférence, de rivalité, d’angoisse et de tristesse et enfilons nos masques d’amour, de bienveillance, de compassion et de joie.
« A l’avenir, pour que les résultats soient bons, il faudra qu’ils soient beaux. Le futur comme le présent sont à réinventer. »
(…) Il ne sera pas tant question de style, et de renouvellement esthétique que de dignité. (…). Seule une philosophie de pensée qui mettra au cœur le choix durable en gouvernance permettra à la mode de nouveaux apogées. »[3]
***
[1] Olivier Saillard, « La mode sous l’autorité des décennies, les années 2000 », Le Bouquin de la Mode, Robert Laffont, septembre 2019, p. 292.
[2] Olivier Saillard, « La mode sous l’autorité des décennies, les années 2000 », Le Bouquin de la Mode, Robert Laffont, septembre 2019, p. 296.
[3] Olivier Saillard, « La mode sous l’autorité des décennies, les années 2010 », Le Bouquin de la Mode, Robert Laffont, septembre 2019, p. 307.
Illustration: Peinture de Didier Vachet inspirée de la couverture du Vogue Paris de septembre 1929 par Eduardo Benito.