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ActualitéNon classifié(e) 16 juin 2022

[RETOUR DE DÉFILÉS]

 

 

Galerie palatine, Palais Pitti, Florence. Le goût du bel anachronisme.

Gucci croisière 2018

Par Emilie Belkessam

 

Les défilés croisières – dits cruise ou encore resort – sont désormais, et à nouveau, l’apanage des grandes Maisons. Historiquement, on les doit à ces clientes américaines qui, pendant l’hiver, au cours des années 1920, partaient sur des paquebots vers le soleil loin des froideurs, et avaient de ce fait besoin d’une garde-robe aux vêtements plus souples et légers.[1] Parmi les premiers à Paris à répondre à ces demandes, on compte alors Gabrielle Chanel ou encore Jean Patou, Patou qui aura d’ailleurs bénéficié d’un grand succès avec son sportswear.

Dress ca. 1927 – House of Patou
© MET museum of New-York, USA.

Rendu en 2018, Gucci ne pouvait donc pas échapper à la règle et produit aussi sa version de la collection croisière. C’est dans les années 1990 que la marque renoue avec son empreinte originelle à savoir une mode sensuelle, sophistiquée, parfois tape-à-l’œil, crue – comme on l’a vu lorsque Tom Ford était à sa tête, où les corps étaient particulièrement sexualisés. C’est désormais une accumulation d’influences toutes plus diverses qui habillent la femme Gucci pour une silhouette finalement, au tournant des années 2015-2020, assez érudite. Mais se revendiquant d’une intellectualité différente qu’un Yohji Yamamoto[1] dans les années 1980 à Paris – pour ne citer que lui.

Ce défilé croisière, idéal pour les clientes, permet de faire le pont entre les sempiternelles collections automne/ hiver & printemps/ été ; il réunit en quelques passages tout l’ADN de la Maison Gucci : un esprit élitiste, opulent, ici entre grandeurs passées – Renaissance italienne – et Postmodernité[1] (de l’anachronique ou d’une fin de l’Histoire où être de son temps ne fait plus la mode mais où la mode se fait des temps passés). C’est aujourd’hui Alessandro Michele qui se retrouve à la tête de la direction artistique et cela depuis 2015, et y délivre une vision de la silhouette Gucci liée au capitalisme industriel, comme à ce Postmodernisme[2], où l’on réutilise des formes qui ont préexisté, les enrobant d’un port, comme d’un sens, nouveaux.

Fondée en 1921, la Maison fête ses 100 ans cette année et fait toujours tout fabriquer en Italie. À l’origine spécialisée en maroquinerie de luxe, elle se développe autour du domaine électif de l’équestre ; le mors et l’étrier en deviennent l’emblème. Très vite, et dès 1930, la marque se diversifie dans les chaussures, gants, caleçons et survit aux pénuries de matières premières de la période fasciste en diversifiant ses matériaux, le fer n’étant plus disponible durant l’entre-deux guerres puisque profitant à l’armement. C’est à cela que l’on doit le sac « Bamboo » créé en 1947, doté d’une anse en bambou et d’un cuir de sanglier.

Les produits Gucci sont des créations qui se veulent éternelles, plus encore avec l’esthétique de Michele qui interroge justement ici les temporalités de la mode. Gucci tâche, saison après saison, d’incarner le goût, bon ou mauvais, ici mauvais et forcément plus docte, partageant tout de même avec Vuitton ou encore Prada l’univers des courses de chevaux. Pour autant, les années Tom Ford ont laissé une empreinte indéniable et célébré une femme avec peu de subtilité et beaucoup de subversion, très italienne, et probablement en écho au crime survenu dans les années 1980 et l’assassinat sulfureux de Maurizio Gucci commandité par son ex-femme, Patrizia Reggiani. Ici, force est de s’interroger : est-ce que la silhouette proposée par Michele renoue avec cette volonté d’élégance et de raffinement des débuts de la Maison florentine, laquelle, à l’instar de Vuitton aura aussi commencé dans la bagagerie, ou est-ce que Michele fait de sa collection le manifeste d’un certain état de la société, entre postmodernité et capitalisme tardif ? L’adjectif pop, terme emprunté par Michele pour illustrer son travail, issu de popular rappelons-le, s’applique-t-il à cette collection ?

Avec pour écrin la Galerie Palatine, au sein du palais Pitti, la collection Cruise 2018 d’Alessandro Michele s’inspire de la Renaissance italienne. C’est la première fois qu’un défilé de mode se tient dans ce lieu, qui pour l’occasion a reçu plus de 2 millions d’euros de la part de Gucci pour la restauration des jardins, et on ne peut que l’en féliciter au regard de la situation économique de l’Italie actuelle et de la culture en général eu Europe.

Cet attrait de la marque pour des lieux emblématiques et civilisationnels ne date pas de ce show : en effet Gucci a déjà collaboré avec le Palais Strozzi à Florence, le Micheng Art Museum de Shanghai, la Chatsworth House en Angleterre et le LACMA à Los Angeles. En 2017, la Maison a révélé sa collection croisière dans le Cloitre de l’abbaye de Westminster. Cette volonté de s’ancrer saison après saison dans de tels lieux ne fait que confirmer ces liens devenant de plus en plus étroit entre l’art, la mode, et leurs histoires. Michele, en coulisses, se livrant sur la collection, confiait que le tout début de l’esthétique européenne a commencé à Florence, ce à quoi on pourrait bien entendu lui répondre que l’art florentin Renaissant tient pour beaucoup à l’époque Hellénistique… Mais que la Maison Gucci est florentine… De cette vision quelque peu fantasmée de Florence on retiendra qu’il demeure effectivement quelque chose de propre à l’Antique, considéré aujourd’hui comme classique des classiques. Mais à oser la comparaison entre la Napa Valley et Florence comme il le fait, nous n’irions sans doute pas jusque-là… On imagine que l’enthousiasme de la création prenant forme l’a sans doute dépassé.

« Ce n’est pas un lieu qui appartient au passé, il est à l’image de la Napa Valley, avec toute son effervescence. » [1]

Le Palais Pitti, où s’est donc tenu le défilé, a cela de particulier qu’il illustre parfaitement le passage du Moyen Âge à la Renaissance. En effet, au cours du Moyen-âge, les châteaux étaient des bâtisses destinées à la défense et la protection des populations[2]. Une fois la guerre de cent ans achevée, les châteaux-palais, moins utilitaires mais plus esthétiques, ont été plébiscités, dévoilant d’une façon toute autre la richesse et donc la puissance de leurs propriétaires. Force est d’y voir un parallèle avec ces vêtements conçus non plus pour le confort seul d’une collection croisière, de voyages, mais pour l’esthétique pure, l’ornementation & la parade. L’ambition première de Michele était de présenter sa collection au Parthénon à Athènes : « tout a commencé autour de la Méditerranée, les cultures grecques comme romaines. »[3] Encore une fois, avant le Miracle grec était la civilisation de l’Égypte antique. Néanmoins, ne pouvant pas avoir Athènes, c’est vers Florence qu’il s’est tourné. Son style décalé et opulent ne pouvait trouver meilleur écrin que le Palais Pitti florentin, où son travail trouve le ton juste entre broderies, couronne de lauriers romaines, perles et ornementations multiples, toiles de Jouy du 18ème, lavallières du 19ème, et rappels fréquents à la modernité dans laquelle il s’inscrit aussi : polos WASP[4], blouson aviateur début de siècle, color block, imprimés 1960’s, imprimés rétros. Au cours de la Renaissance, inspiration dite de Michele pour cette collection, les vêtements sont souvent en velours ou en soie, matériaux nobles et coûteux. Les hommes de la haute société portent des collants et des fraises, le baroque, de la fin de la Renaissance, donne le ton au costume. Autour de 1650, le costume use d’imagination et d’audace : on oppose la mesure au mouvement, et loin de s’attacher à la Contre-réforme en quête d’une nouvelle austérité propre à reconquérir les catholiques face à la montée du Protestantisme, l’ornementation se fait multiple et précieuse. La symétrie et l’équilibre ne sont plus de mise, ni alors, ni avec Michele, qui entremêle les vestiaires féminin et masculin, use et abuse des couleurs en faisant fît de leurs possibles complémentarités, et n’hésite pas à associer à des matières nobles autres jogging de coton voire polyester, allant ainsi à l’encontre de l’interdit biblique (il s’agit de s’opposer au Protestantisme)[5]. L’anachronisme fait autorité et suggère une forme de liberté de ton propre au fouillis. « J’aime la culture populaire, c’est c’est la raison pour laquelle j’apprécie tout particulièrement la Renaissance, qui est à mon sens très pop. Pop cela signifie que c’est compris par tous. »[1] C’est à cela, au baroque, que la silhouette Gucci par Michele doit son éclectisme, soit de la fin de la Renaissance, premier 16ème siècle, riche d’un syncrétisme propre à celui qui voyage, s’instruit et s’imprègne. Les Européens de la Renaissance eux, n’avaient pas pleinement conscience de leur identité culturelle. Selon l’historien anglais John Hale[2], c’est à la Renaissance que le terme Europe est passé dans le langage courant, appuyé  par des cartes géographiques, des frontières claires, et un vivier d’images rassemblé alors afin de créer un imaginaire commun, peut être aussi en niant quelque peu d’autres liens avec d’autres civilisations asiatiques, africaines, etc.

Là où l’on pourrait frôler le mauvais goût, Alessandro a eu l’ingéniosité de prendre du recul quant à cette multiplicité de références toutes plus conséquentes les unes que les autres ; car oui, contrairement à ce qu’il explique en coulisse, ses références ne sont pas seulement Renaissance, ou italiennes, mais réellement plurielles.

À gauche : pièce de la collection Gucci par Alessandro Michele, pour la croisière 2018. S’inspirant de la pièce médiévale appelée peliçon ou pelisse. Ici fermé par fibule.
À droite : Figure de prince portant un justaucorps noir et une houppelande fourrée. Sur la tête un bonnet de velours. Dessin aquarelle. Collectionneur : Gaignières, Roger de (1642-1715). Bibliothèque nationale de France, Bouchot, 804

 

Ainsi, si la collection dans son ensemble et le discours de Michele peuvent paraître incohérents (et ils le sont quelque peu), en réalité ils nous permettent de remettre en question l’idée de goût : si l’on est à la limite de ce qu’un tel qualifierait de mauvais goût à travers cette présentation, c’est notamment pour amener le regardeur à s’interroger : le moins est-il le mieux, le rare est-il toujours le beau ? Pourquoi porter aujourd’hui ce que j’ai honni hier ? Quels fondements construisent ma silhouette ? Y-a-t-il un sens ? S’il est communément admis que le goût est affaire de subjectivités, qu’en est-il de l’assertion non moins courante de mauvais goût ? Car en effet, s’il est plus que généralement considéré comme indiscutable, que penser de cette dénomination quelque peu manichéenne de « mauvais » et donc de « bon » goût ? Le poncif cité précédemment qui voudrait que l’on ne puisse juger de ce qui est « bon » ou « mauvais » en matière de goût semble s’essouffler quelque peu. Ces dénominations de bon et de mauvais suggèrent l’existence de préceptes à même de les déterminer. Reste à savoir, de quoi le mauvais goût est-il le nom ici, chez Alessandro Michele ?[1]

« En matière de goût, il nous faut renoncer à nous même en faveur des autres. » Cette phrase tirée de Juger, sur la philosophie politique de Kant[1], par Hannah Arendt, nous montre à quel point il est nécessaire pour l’humain de « triompher de l’égoïsme en faveur des autres » (ibid). Autrement dit, dans le jugement de goût, j’éprouve ma qualité d’humain et la connaissance que me donne ce jugement sur le goût me donne une connaissance générale du milieu social dans lequel j’évolue. Là est la politique au sens aristotélicien du terme, du jugement sur le goût chez Kant, analysé par Arendt. Qui nous permet d’ouvrir sur le politique dans ce goût pour le mauvais, ou le moche, le non harmonieux.

En terme kantien c’est ce qu’on appelle un jugement réfléchissant : seul le particulier est présence. Alors, le sujet, placé devant un objet se donne à lui-même un principe d’universalisation, présupposée a priori de manière transcendantale. C’est ce qu’entreprend Derrida, dans l’Université sans condition[2], où il associe le jugement réfléchissant à ce qu’il appelle le « comme si ». Ces jugements opèrent « comme si » un hasard heureux permettait à un quelqu’un de connaître ou comprendre l’unité de la variété des lois empiriques. Or, il n’y a pas de hasard heureux. Mais il y a une [finalité subjective réciproque] qui constitue la beauté de son objet. On le comprend dans l’esthétique relationnelle de Nicolas Bourriaud[3], selon lequel l’art doit être un lieu de rencontre avec l’autre. Le terrain est social, comme on le voit dans l’oeuvre d’Erik Dietman, La Coiffeuse[4] – pour rester dans un univers du paraître –  artefact présent en chacun de nous, dans cet inconscient collectif. En créant des modes d’existence, les artistes se contentent de bricoler l’héritage culturel, pour créer une relation sociale. Toujours selon Bourriaud, il faut (p. 17) « investir la sphère relationnelle en la problématisant ».[5] Ce sensus communis propre au jugement de goût, ce sens du commun, est sens de la communauté. La véritable connaissance est donc la connaissance que j’ai de ma communauté. La condition de la subjectivité semble être plus politique qu’artistique, l’individu gagne ce que la rhétorique perd.

Ici, il est évident qu’il s’agit d’une forme de distinction sociale[6], d’une certaine haute bourgeoisie, contre les masses, qui avec les fast- fashion, contrefaçons et gentrification n’en finissent plus de se chercher un nouveau paraître. Nous sommes certainement au moins autant les légataires d’une histoire du vêtement et de ses codes, que ceux qui imposent et revendiquent une nouvelle manière d’appréhender notre époque. Et quoi de mieux pour se distinguer de ces masses endimanchées que d’adopter un style éclectique, anachronique et d’apparent mauvais goût, de Michele ?

Le style d’Alessandro Michele se ressent dès l’arrivée des premières silhouettes, riches en couleurs (bleu, vert, orange, rouge, violet) en motifs, broderies, et autres apparats. Le directeur artistique de la maison joue la carte des mélanges : genres, matières, imprimés, époques, longueurs, coupes, etc. La collection reliait les débuts de Gucci à l’histoire de la ville. Renommée pour sa délicatesse, la dentelle est l’emblème de la mode à Florence au cours de la Renaissance. Ici, la dentelle rebrodée de fleurs ou de feuilles rend hommage à ce passé glorieux tout en affichant des lignes contemporaines.

Le designer continue d’explorer la faune et la flore qu’il a fait siennes – roses roses, sur des robes plissées, fretins imprimés sur des tee-shirt… Le chanteur Francesco Bianconi a défilé en costume avec un imprimé tapisserie orné de roses rouges. L’excentricité est de mise : pantalon de jogging 1990’s portés avec une chemise à volants,  manteau matelassé bordeaux, imprimé dragon sur col de veste rouge – Chinatown dans les 1980’s. L’excentricité, selon Michele, n’est pas un accident mais une façon de s’approprier une époque et d’exprimer une individualité, ce à quoi on pourrait ajouter de ne pas se laisser enfermer dans une tendance, un style, mais de les épouser tous, se démarquant par ce biais du mass market[7].

Côté pièces, la maison propose de nombreuses robes fluides, longues et colorées, semblant avoir été conçues pour des déesses, mais aussi des robes en brocart ou en mousseline de soie, qui contrastent avec les mini shorts en denim ornés de motifs, les robes en cuir, ou encore les joggings iridescents. Des styles qui se complètent finalement plus qu’ils ne s’affrontent comme le montre un ensemble composé d’un jogging vintage surmonté d’un long manteau matelassé rose. On retrouve également le logo GG utilisé pour la première fois dans les années 70.

 

La collection Cruise 2018 rend hommage aux origines seventies de Gucci en réintroduisant ce motif dans le prêt-à-porter, qui contraste avec un fond arc-en-ciel en harmonie avec la nouvelle esthétique de la Maison, et appuie cette atmosphère d’intemporel. Les pièces sont marquées de l’estampille Renaissance : la cape en fourrure de vison marron – pour ne citer qu’elle – présente dans sa doublure en soie à imprimé roses une broderie Venere, en référence à la déesse romaine Vénus (de l’Aphrodite grecque). La palette est vive et dynamique, avec un accent porté sur le rose (décliné en plusieurs teintes) et l’or, bien sûr, très présent. Ce rose d’avant 1930 qui représentait encore une certaine idée de la virilité. Loin de la layette accordée désormais aux seules petites filles.

Haut : Jacob Bunel, Henri IV représenté en Mars, vers 1605-1606, Pau, musée national du château. Musée national du Château de Pau – Portait d’Henri IV en Mars – Ambroise Dubois.
Bas: gauche & droite : pièce de la collection Gucci par Alessandro Michele, pour la croisière 2018.

 

 

 

 

 

 

Côté détails, on retrouve beaucoup de nœuds, apportant valeur à la pièce[8], sur le prêt-à-porter mais aussi sur les accessoires, et des fleurs, faisant écho aux motifs de la collection de vêtements. Beaucoup d’accessoires sont présents. Les couvre-chefs sont aussi présentés en nombre, à l’instar de ces couronnes de lauriers qui viennent habiller la tête des mannequins, où l’on peut observer parfois une lyre, reprenant l’ambiance musicale du défilé, ou encore ces cagoules entièrement recouvertes de perles. Certains modèles défilent d’ailleurs avec des colliers de perles qui entourent non pas leur cou mais leur visage, une exaltation des codes du 16 ème siècle. (Voir série d’images ci-dessous).

« Je pensais injecter du rock ‘n’ roll dans la collection, en pensant à des visages comme [Simonetta] Vespucci[9]. Elle était rock’n’roll à l’époque. » Le discours même de Michele est antédiluvien, est-ce qu’on peut réellement attribuer cet anglicisme de rock’n’roll à la Renaissance italienne ? Les vestiges de l’ancien thème classique, ces couronnes dorées de lauriers[10], ces diadèmes en argent au motif de lyres, les turbans léopard, foulards, bandeaux laineux, côtoient autres lunettes teintées quelque peu ringardes, les perles tissées dans les tresses de cheveux, un hommage certain à la perle irrégulière du baroque. L’œil italianisant de Michele pour l’excès et l’extravagance rôde sans entrave à travers les siècles, des impressions psychédéliques sur tailleurs aux robes de chambre Renaissance devenues seventies.

 

Cette saison, il avait des collants pailletés et imprimés au logo GG, des chaussettes, sur lesquelles on pouvait voir des impressions de tête de loup. Sans compter ces slogans Guccy, Guccification, et Guccifiez-vous. A l’image du logo omniprésent, tout sauf discret, et filé sur des jupes midi, des pantalons pour hommes, ainsi que des bombers et des fourrures, faisant office de véritables hiéroglyphes, pop symboles, dans l’esprit de Michele. L’ambition de la Maison est de « Gucchifier ». Il y a la volonté de jouer avec les codes et de faire de l’auto-parodie, consciente.

Droite : pièce de la collection Gucci par Alessandro Michele, pour la croisière 2018.
Gauche, de haut en bas :
Portrait de dame, Béatrice d’Este, duchesse (Ludovico Sforza) de Milan ; 1475–1497. Huile sur bois, v. 1485/90, école de Léonard de Vinci (1452–1519) (Giovanni Ambrogio de Predis, v. 1455–1508 (?) ). H. 0,51 ; L. 0,34. Inv. Nr. 100. Milan, Pinacoteca Ambrosiana.
Bianca Maria Sforza. Giovanni Ambrogio de Predis. Circa 1493.
Portrait de Barbara Pallavicino (1510 env) Galerie des Offices. Alessandro Araldi montrant une coiffure similaire et les lacets d’épaule
Portrait de femme 1550 Peinture de Prospero Fontana (16e siècle) Italie Italien
PREDIS, Ambrogio de, Profile Portrait of a Lady. PREDIS, Ambrogio de – Profile Portrait of a Lady by European Paintings
De Leonard de Vinci à Michel-Ange. Les Borgia et leur temps. Musée Maillol, Paris (VIIe). Jusqu’au 15 février 2015. © FLORENT GARDIN/MBA-NÎMES

Ce qui l’empêche de tomber dans une lecture premier degré est l’étrangeté sous-jacente: il y a quelque chose d’inquiétant, presque de l’ordre du mort-vivant, dans ces silhouettes qui défilent. Teints grisés, œils vides, ils ressemblent à s’y méprendre à ces hommes robotisés que l’on voit dans le film Bienvenu à Gattaca. Peut-être n’y a-t-il pas de grandes profondeurs politiques, mais il y a un sous-texte que le public n’a pas vu, car ils étaient littéralement assis dessus. Michele avait les lignes de A Song For Bacchus, un poème écrit au 15ème siècle par Lorenzo de Medici, brodé sur les sièges sur lesquelles ils étaient :

Chants de Carnaval de Lorenzo de’ Medici[11]
Combien belle est la jeunesse : Elle ne cesse de fuir.
Qu’à son gré chacun soit en liesse, Rien n’est moins sûr que demain.
C’est Bacchus et Ariane, Beaux et brûlants l’un pour l’autre : Leur bonheur est d’être ensemble, Car le temps s’enfuit, trompeur.
Ces nymphes et tout le monde Ne cessent d’être en gaîté. Qu’à son gré chacun soit en liesse, Rien n’est moins sûr que demain.

Il s’agit donc de célébrer la vie, et les vies, de ces hommes et ces femmes qui nous ont précédés, et dont on hérite une part de notre culture, avant que l’on disparaisse à notre tour. Là est sans doute puisé ce caractère orgiaque, cette volonté de tout voir tout faire tout porter avant d’être emporté. Inspiré par le Carnaval de Florence où il a l’habitude de se rendre, Laurent de Médicis sacrifie bien volontiers tout lyrisme au ton enjoué de la plupart de ces balades. Ici, on peut lire un hymne à la vie : il compose d’abord dans le style comico- réaliste, parodique et caricatural, faisant écho au fouillis de Michele.

Avec cet aphorisme, inspiré du Médicis, Alessandro Michele a résumé sa collection croisières Gucci, présentée lundi soir à la galerie Palatine du Palais Pitti, qui, bien sûr, combinait des éléments chers au designer – ses riches broderies et décorations, ainsi que cette opulence, tant dans les couleurs que dans les matériaux, cette profusion de codes que l’on retrouve exemplifiée sur Elton John, l’un de ses invités de premier rang, qui portait une veste sombre mais pailletée. Pailletée et munie d’une broderie de lézard multicolore sur l’un des bras, le lézard étant le dérivé du serpent dans la symbolique, qui a la particularité d’être considéré comme un ami de la maison, on aura compris que certains invités adhèrent plus que les autres, au designer.

Pour finir, les chanceux qui étaient invités au défilé ont eu la surprise de repartir avec une boîte conçue comme un souvenir de Florence, une boîte sur laquelle était estampillée des feuilles d’orties, accompagnée d’un chapeau de la marque dans un sac de jute : « C’est une belle boîte, mais vous ne savez pas si c’est un poison, un médicament ou un parfum. Cela vient de Nouvelle-Zélande, et c’était ce qu’il y avait de plus exotique à porter à la Renaissance. C’était très rare, mais à cette époque, vous pouviez le trouver à Florence, ce qui ne manque pas d’illustrer la richesse de cette époque. »[12]

C’est au sein de la sublime Galerie Palatine du Palais Pitti qu’Alessandro Michele avait choisi de faire défiler sa collection croisière 2018. Les différentes silhouettes Gucci témoignent une fois de plus de la folie créative du directeur artistique de la maison qui parvient malgré le tourbillon de matières, de couleurs et d’influences à conférer à la collection une harmonie baroque, donc irrégulière mais non moins exigeante. Il convient de relever qu’Alessandro, avec l’aide de son PDG Marco Bizzari, a su faire preuve d’habileté quand il s’agit de marquer un retour définitif à l’artisanat italien, allant jusqu’à créer des coopératives ouvrières spécialisées en maroquinerie. Sous l’impulsion d’Alessandro Michele, directeur artistique, Gucci a redéfini le luxe de sa Maison tout en renforçant sa position parmi les maisons de couture les plus convoitées au monde, s’inspirant sans doute des « petites mains » que l’on retrouve chez Chanel. Le cadre a pu aider tant qu’il fait sens. Tant en termes de confection, que de sens donné à la collection, Michele a su capter l’esprit de son temps, qui n’a guère plus envie d’être encastré dans un style, un mouvement, mais de les embrasser tous, dans une harmonie hétéroclite. Si à première vue les silhouettes apparaissent un peu fouillies dans les termes, autant que dans ceux de Michele à la presse, foutraque même, dans le sens qu’on peut leur conférer, en y réfléchissant un peu plus, on s’aperçoit qu’elle représente la quintessence de notre époque : une profusion difficile à maîtriser, riche de symboles et de codes qu’un spécialiste seul peut déchiffrer tant le tout est intellectualisant à outrance.

Pas vraiment populaire, mais pop au sens de polyphonique, polysémique et exaltant. Hommes et femmes défilent ensembles, et la femme n’est plus l’avatar – ou du moins le seul avatar – de ce que l’on mitraille du regard et objective. Féminin et masculin sont encore un peu moins des genres en couture, mais davantage des problématiques de mesures : largeur d’épaule, courbure de la veste. En somme, il nous a été présenté un débordement maitrisé, une harmonie convaincante, desquelles s’exhalait une appétence pour le bel anachronisme.

Notes de bas de page

  1. Voir Harper’s Bazaar de décembre 1933, « Cruise clothes». Pour la première mention existante de ce terme et de ce besoin dans la presse.
  2. Yohji Yamamoto appartient au mouvement du Déconstructionnisme, dont on hérite de la philosophie française (French theory), notamment de celle de Derrida. Il déconstruit donc la silhouette féminine la rendant plus vaporeuse et moins genrée, opérant quelques confusions de sens et la transformant en une figure poétique du chaos, habillée par des morceaux de vêtements accumulés sur des corps.
  3. En art, le mouvement Postmoderne utilise des formes du passé et ne cherche plus comme cela était le cas dans le Modernisme, à innover en tous point. L’oeuvre ou l’artefact Postmoderne est composée d’éléments hétéroclites, nouveaux et/ ou anciens. L’éclectisme est évidemment de mise.
  4. Les deux étant liés, voir à ce titre F. Jameson, Le Postmodernisme ou la logique culturelle du capitalisme tardif. ENSBA, coll. « D’art en question. » « Un des indices les plus importants pour suivre la piste du postmoderne pourrait bien être le sort de la culture : une immense dilatation de sa sphère (la sphère des marchandises), une acculturation du Réel immense et historiquement originale, un grand saut dans ce que Benjamin appelait «l’esthétisation» de la réalité (il pensait que cela voulait dire le fascisme, mais nous savons bien qu’il ne s’agit que de plaisir : une prodigieuse exultation face à ce nouvel ordre des choses, une fièvre de la marchandise, la tendance pour nos «représentations» des choses à exciter un enthousiasme et un changement d’humeur que les choses elles-mêmes n’inspirent pas nécessairement). Ainsi, dans la culture postmoderne, la «culture» est devenue un produit à part entière »
  5. Michele en coulisses. Trad. : “This place is not about the past, it’s like Napa Valley now, with everything happening.”
  6. Charles-Laurent Salch, À quoi servent nos châteaux forts ? Strasbourg, CAMS, 1990.
  7. Michele, en coulisses.
  8. WASP : White anglo-saxon protestant. Anglo-Saxon blanc et protestant (modèle valorisé). Dictionnaire Le Robert
  9. Michele, en coulisses.
  10. John Hale, La civilisation de la Renaissance en Europe [« The civilization of Europe in the Renaissance »] (trad. de l’anglais par René Guyonnet), Perrin, 1993.
  11. Hannah Arendt, Juger, sur la philosophie politique de Kant. Seuil, 2017. Emmanuel Kant, Critique de la faculté de juger. Vrin, 1993.
  12. Hannah Arendt, Juger, sur la philosophie politique de Kant. Seuil, 1991.
  13. Jacques Derrida, l’Université sans condition. Galilée, 2001.
  14. Nicolas Bourriaud, Esthétique relationnelle, Dijon, Les Presses du réel, 1998
  15. Erik Dietman, La Coiffeuse. Bois et sparadrap, 1963.
  16. Nicolas Bourriaud, Esthétique relationnelle, Dijon, Les Presses du réel, 1998
  17. La distinction sociale, que l’on retrouve chez Bourdieu, pourrait se définir ainsi : acheter des produits chers, fabriqués en quantité limité et permettant de ce fait de se démarquer de la masse. Pierre Bourdieu, La Distinction. Éditions de Minuit, 1979.
  18. Kenton, Will. “Mass-Market Retailer”. Investopedia. Retrieved 2020-11-18.
  19. Le noeud est passé de l’utilitaire au décoratif. Du sous- vêtement à lanières & cordons demeure cet élément décoratif et mémoriel. Pour aller plus loin, voir de Denis Bruna La Mécanique des dessous : une histoire indiscrète de la silhouette. Exposition, Paris, Musée des arts décoratifs du 4 juillet au 24 novembre 2013 Paru en mai 2013 Catalogue d’exposition (relié).
  20. Muse de Botticelli, que l’on peut voir notamment parmi les trois Grâces du Printemps (1478- 1482).
  21. La couronne de lauriers date de l’époque hellénistique et est une distinction offerte au vainqueur. Elle a été reprise dans l’Empire romain de 27 av. J.-C. À 476 de notre ère et figura d’ailleurs sur l’emblème de l’Etat romain.
  22. Laurent le Magnifique. Ambra : Chansons de carnaval, l’Altercation et Lettre à Frédéric d’Aragon, traduits et présentés par André Chastel. 1 janvier 1947. Poésies, Laurent de Médicis. Rivages Poche. Petite Bibliothèque, 19 Mai 2021.
  23. Michele, en coulisses.


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